Le Grand Est de la France a été la première région touchée par la Pandémie de Covid-19 et l’une des plus meurtrie avec l’Ile de France.
Leila Calmé – Directrice-adjointe des équipes de prévention spécialisée du Val de Fensch et du Val de l’Orne du Comité Mosellan pour la Sauvegarde des Enfants, des Adolescents et des Adultes (CMSEA) met en relief la façon dont le CMSEA, qui intervient auprès de publics précaires et/ou fragiles, a adapté ses modalités d’intervention face à la pandémie.
« Les travailleurs sociaux ont été réactifs, engagés, créatifs et courageux »
1 – A quelles adaptations le CMSEA a -t’il procédé pour poursuivre son action en direction de publics fragilisés ?
L’annonce du confinement a créé un véritable choc pour tout le monde mais les adaptations ont été très rapides. Le CMSEA est responsable de Maisons Educatives à Caractère Social pour des jeunes placés ou sans famille, de centres éducatifs fermés, pour jeunes sous mains de justice, de maisons d’accueil de personnes en situation de handicap(s) qui sont parfois sans familles ou qui ne peuvent pas être prises en charge par leurs familles ou bien encore de foyers d’accueil pour des femmes victimes de violences. Nous avons donc une obligation de continuité, il n’était pas possible d’abandonner ces personnes.
Un Appel à mobilité et à volontariat interne a donc été lancé très rapidement car il n’était pas possible pour les personnels de ces structures qui avaient, par exemple, des risques de comorbidités importants ou des enfants à charge de poursuivre leurs missions. Les réponses des travailleurs sociaux à cet appel ont été nombreuses et ainsi, la qualité d’accueil et de service a pu être maintenue sans interruption.
Pour la prévention spécialisée, Les services développés continuent à être mis en place à distance. Nous avons, révisé notre paradigme. Les interventions des éducateurs spécialisés sont habituellement basées sur la libre-adhésion des personnes et dans un tel contexte, nous avons très vite senti que ce n’était plus totalement possible, qu’il fallait se réinventer.
Nous avons donc appelé de façon régulière les jeunes et les familles et avons démultiplié les interventions via les réseaux sociaux qu’ils utilisent pour maintenir les liens. La question du décrochage scolaire s’est, dans un contexte de confinement, posée très rapidement. Notre public est précaire et une grande partie des familles ne sont pas équipées d’ordinateurs et/ou d’imprimantes et ne sont pas toujours outillées pour aider leurs enfants. Si certains jeunes essayaient de ne pas décrocher, d’autres percevaient cette période comme des vacances et étaient en train de renoncer à tout travail scolaire, c’est ce qu’il nous faut à tout prix éviter. Un soutien scolaire a ainsi été développé à distance via les réseaux sociaux mais aussi par téléphone. Nous sommes attachés à maintenir le lien avec les établissements scolaires et les conseillers principaux d’éducation qui nous signalent ainsi les jeunes qui sont en décrochage et auprès desquels nous intervenons pour les tenter de les raccrocher et éviter une déperdition trop grande. Puis, au fil des jours, l’ennui s’est installé et nombre de jeunes et d’enfants voulaient sortir à l’extérieur. Les équipes d’éducateurs ont alors développé, via les réseaux sociaux, des jeux à distance, des concours de dessin, des séances de sport, des échanges de recettes de cuisine et des méthodes de bricolage. En outre, un espace d’identification, de démontage et de mise en débat des fakes news a été développé pour éviter que les fractures sociales ne s’agrandissent.
Nous avons aussi développé des aides d’urgence dans la mesure où des familles sont aujourd’hui confrontées à des situations économiques catastrophiques et ne peuvent plus payer leurs loyers ou acheter de quoi se nourrir. En lien avec les Centres Communaux d’Action Sociale, et les associations caritatives des réponses et des aides sont ainsi apportées à ces familles.
Le mal logement est également source de potentielles violences intra-familiales. A 6 ou 7 personnes dans un appartement, l’intimité n’existe pas et est souvent doublée d’une inquiétude des parents pour leur avenir professionnel. Ceci peut être source ou renforcer des violences intra-familiales entre les parents, entre parents et enfants ou entre les enfants. Nous accompagnons donc ces familles par téléphone ou via les réseaux sociaux, nous les écoutons et si ces mesures de médiation à distance sont insuffisantes, les éducateurs se déplacent munis des équipements de prévention nécessaires pour apaiser les tensions. Lorsque cette étape ne donne pas les résultats escomptés et que la situation s’aggrave, nous engageons alors un signalement à la Cellule Des Informations Préoccupantes (CDIP) qui peut alors saisir le juge qui peut éventuellement décider d’un placement ou d’une médiation approfondie tout en sachant que le contexte de pandémie complexifie également ce type d’intervention. Les mesures de distanciation sociales étant particulièrement complexes à établir dans ce type de situation.
Enfin, nous intervenons également auprès des personnes sans domicile fixe. L’Etat, en Lorraine, a rapidement réquisitionné les hôtels pour mettre ces personnes à l’abri et les travailleurs sociaux interviennent dans ces espaces pour dialoguer, apaiser les tensions et apporter nourriture et produits d’hygiène.
Quelles sont vos principales difficultés ?
Nos véritables difficultés résident dans l’accès direct à ces publics qui vivent des situations de stress intense, d’angoisse qui peuvent déboucher et/ou renforcer les violences intra-familiales mais aussi le décrochage scolaire qui peut toucher de nombreux jeunes. C’est pourquoi nous sommes en réflexion sur la mise en place de cours de soutien scolaire pendant l’été en réponse à cette situation.
Quels sont les mécanismes de concertation que vous avez développée dans un tel contexte ?
En interne, nous avons, à distance, une réunion de cadres de façon hebdomadaire pour procéder aux ajustements nécessaires et avec les équipes terrain, le contact est quotidien et on s’appelle à la moindre difficulté.
Nous entretenons également des contacts téléphoniques avec les autres organisations locales et nous répondons à toutes les sollicitations, notamment à celles provenant des municipalités, des acteurs de l’urgence sociale et des réseaux régionaux et nationaux. Ainsi, par exemple, le comité de liaison des associations de prévention spécialisée (CNLAPS) basé à Paris recense toutes modalités et méthodologies d’action et la façon dont les pratiques se sont adaptées à la situation. Nous répondons à leurs sollicitations et en retour, nous recevons régulièrement des informations relatives aux différentes pratiques et actions engagées en France par toutes les associations de prévention spécialisée. Cette mutualisation, c’est la force du réseau. Nous participons également à des études ou enquêtes régionales et nationales et les comptes-rendus, nous permettent de prendre connaissance de ce que d’autres organisations mettent en pratique. Nous avons aussi répondu à une étude qui visait à inventorier les actions des associations au niveau local en lien avec les municipalités et le département. Ceci permet d’obtenir une information de qualité et ces réseaux et relais fonctionnent bien. Il y a une vraie réactivité de la part des réseaux.
Un message pour les membres de Joussour ?
Face à ce contexte si particulier, plus que jamais, soyons ensemble.