Abdelaziz Tadjeddine, Président de l’Association APCS (Association de Protection Contre le Sida) répond aux questions de Joussour.
En sa qualité de Professeur de médecine et épidémiologiste, il nous donne des conseils sur les comportements individuels et collectifs à adopter pour se protéger et protéger les autres.
Qu’est-ce qu’une pandémie ?
Avant de qualifier ce qu’est une pandémie, il faudrait d’abord évoquer la manière dont se propagent les maladies transmissibles soit de façon sporadique c’est-à-dire à suites de cas individuels exemple un cas de salmonellose. Il y a également les épidémies : ce sont des cas de maladies concentrés dans le temps et dans l’espace, qui peuvent toucher des bassins de populations spécifiques ou alors des communautés etc. Ensuite nous avons la pandémie qui apparaît partout dans le monde et se propage rapidement d’un pays à un autre, d’une région à une autre ou d’un continent. A l’exemple de de la Grippe aviaire, H1N1, SRAS1,. Il n’y a ni frontières géographiques, physiques ou autres. Là aussi, il y a beaucoup d’exemples et cette pandémie de corona, de covid-19 est très particulière. Elle est singulière.
Pourquoi est-elle particulière et si singulière ?
Parce que, comme lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1918, l’ensemble des sujets humains donc les 7 milliards que nous sommes, n’avons pas été en contact avec ce virus nous y sommes donc réceptifs. Nous ne sommes pas immunisés et c’est donc en cela que cette pandémie est singulière.
Quand on sait que la grippe espagnole a fait près de 40 millions de morts à une époque où la science n’était pas celle d’aujourd’hui et où on ne disposait pas des mêmes moyens, on voit bien que l’ensemble de l’humanité est touché et cela donne la mesure des dégâts.
Quels sont les comportements individuels et collectifs à adopter pour se protéger et protéger les autres ?
Il y a un tronc commun de comportements, je ne sais pas si vous avez dit ça pour l’Algérie, pour nous ou pour d’autres pays ou pour l’ensemble des pays, parce que ça diffère selon le déterminant essentiel : les moyens dont disposent un pays et qui impacte le comportement et donc la riposte.
Quand on voit l’exemple de la Corée du sud, ils ont fait un dépistage de masse et c’est une stratégie gagnante. Quand on voit Singapour, Taiwan et Hong Kong qui ont également mis en place la technologie de traçabilité des cas contacts, ils ont très vite réglé le problème sans beaucoup de dégâts surtout en matière de mortalité.
Pour l’Algérie, c’est un pays qui est aussi singulier. On peut revenir sur les critiques, mais le confinement actuel ou partiel, à mon sens en tant qu’épidémiologiste, est une décision politique positive et qui est en cohérence et en adéquation avec nos moyens surtout les moyens matériels et hospitaliers. On aurait voulu qu’il y ait un confinement total mais on connait l’indiscipline de nos concitoyens, d’une part et d’autre part ça aurait été très difficile de le leur faire accepter. Quand je vois les chiffres que nous avons, si les chiffres sont totalement validés, si les chiffres sont totalement vrais, ce confinement partiel continue à faire circuler le virus de façon à créer cette immunité collective. Par exemple des pays comme la France, ont une peur bleue de ce déconfinement dans quelques semaines, dans quelques mois et à mon avis l’immunité collective ne dépasse pas 10% alors qu’il faut qu’elle soit à plus de 60% si on veut arrêter la circulation sauvage du virus.
Pour nous, c’est positif dans le sens ou on sait très bien et ça c’est une donnée scientifique qui est réelle, c’est que 80% des personnes, surtout les jeunes, ne font pas un tableau clinique grave. Ils peuvent avoir un petit rhume, une petite grippe, une asthénie, une fatigue temporaire et c’est réglé en 5-6 jours. Ils continuent d’être porteurs malheureusement, ils continuent à contaminer et ils contaminent des seniors comme moi qui a plus de 60 ans ou alors des personnes aussi qui sont âgées et qui ont une comorbidité de type diabète ou hypertension ou maladies cardiaques etc…
C’est là qu’on arrive à ta question du comportement individuel. Cela me mène à faire le parallèle entre le VIH, maladie sur laquelle je travaille depuis plus de vingt ans. Dans une relation d’amour, si on est vraiment dans une relation d’amour et si on veut protéger notre partenaire en étant séropositif, je lui en parle d’abord pour qu’elle connaisse exactement mon statut et la deuxième chose c’est que je la protège en utilisant un préservatif.
Peut-être que cette image parait un peu paradoxale mais il faut à tout moment compter sur la responsabilité des uns et des autres et j’allais dire la confiance des uns et des autres.
Individuellement, on ne demande pas aux gens de faire des choses extraordinaires, se confiner dans un endroit et lorsqu’on a tous les atouts, c’est facile, dans un logement de 3 pièces et quand on est 2 personnes, ça ne doit pas poser de problèmes. Il y en a malheureusement beaucoup qui sont dans la difficulté, la précarité, je crois c’est ceux-là qui vont payer le prix fort, car objectivement, ils ne peuvent pas le faire. Il n’y a pas assez d’espaces, il n’y a pas assez d’oxygène.
A côté de ça, lorsque l’on a n’a pas de masques, lorsqu’on a n’a pas de bavettes, de tests rapides, lorsqu’on n’a pas de tests et quels que soit en les tests de la PCR, aujourd’hui à l’hôpital on aurait dû les recevoir, j’ai dit à mon collègue si on les a à fin mai, ça sera bien.
Pour vous dire qu’on a des difficultés, quand un marché est mondial et quand tous les pays sont en concurrence, c’est compliqué. Surtout si on n’a pas anticipé, dans la vision stratégique, dans la préparation des épidémies, on ne peut pas tout avoir en ce moment. Nous avons été l’un des premiers pays au monde à avoir adopté les outils de préventions telles que la vaccination obligatoire, la lutte contre le paludisme et cela dès l’indépendance. Malheureusement depuis deux décennies on parle prévention mais c’est une coquille vide, en parallèle on importe les machines dernières générations à des couts faramineux et on n’investit pas assez dans la prévention. Heureusement en matière de démographie médicale nous avons formés des bataillons de médecins compétents qui s’exportent tres bien de l’autre côté de la Méditerranée et cela d’autant plus que dans un passé récent nos jeunes médecins ont été tabassés, humiliés, méprisés pour avoir demandé des conditions de travail dignes et meilleures.
Le comportement individuel c’est d’abord une prise de conscience que nous sommes devant un problème majeur de transmission et de contamination et au bout du compte, si on ne fait rien, on peut être à l’origine de l’infection des autres, ça peut les conduire à la réanimation et jusqu’au cimetière.
Collectivement et individuellement c’est aussi d’être sécuriser sur le plan alimentaire. On ne va pas mourir de faim. On va mourir de manque d’affection, de solitude, on sera en carence de beaucoup de choses mais on ne va pas mourir de faim. Le principal, en toute honnêteté, c’est que les mosquées aient été fermées à temps. J’espère qu’elles ne seront pas ouvertes précocement.
Le seul exemple qui me vient à l’esprit, c’est l’Iran. L’Iran a mis trop de temps pour arrêter les prières collectives. Le résultat on le connait, c’est un des pays où on enregistre le plus de morts.
L’arrêt des prières collectives a été une décision salutaire du Ministère des affaires religieuses qu’il faut relever.
Le comportement individuel c’est que chacun de nous soit responsable. Les gens qui venaient d’Espagne, de France ou d’ailleurs constituaient le principal réservoir de malades, maintenant cette source de contamination est tarie puisqu’on a fermé les arrivées, on a fermé le robinet ! Cela veut donc dire que le virus est parmi nous. Le confinement est une bonne stratégie. Ce que propose le Ministère parce qu’il n’y a pas ou peu de moyens, c’est de tester les cas suspects pour voir s’ils sont confirmés et s’ils sont confirmés il faut absolument faire un dépistage autour du cas confirmé, dans son environnement familial et social.
Voilà, je vous ai donné juste deux exemples de comportements individuels et de comportements collectifs. Il y en a vraiment d’autres. Le premier pour moi c’est la distanciation sociale. L’histoire de la semoule et la farine, honnêtement c’est une aberration culturelle qui est indigne d’un peuple comme le nôtre, ils se collent entre eux pour avoir un sac de semoule ! Et à côté de ça, ce que je viens de dire pour les mosquées, c’est une décision non seulement importante mais elle a permis d’emblée d’aplatir la courbe de rester dans des proportions qui me paraissent gérables ou maîtrisables.
Cette pandémie a-t-elle impactée le travail de sensibilisation habituelle de l’association, si oui, comment vous faites face à cette situation ?
Effectivement, nous avons été un peu tétanisés par cette pandémie et moi-même j’étais trop pris par mon travail à l’hôpital, mais l’APCS poursuit son travail de sensibilisation, notamment auprès des personnes vivant avec le VIH mais également avec un appui matériel. Nous sommes également en relation étroite avec les Usagers de Drogues par voie intraveineuse surtout à Alger. C’est l’occasion de remercier Joussour pour nous avoir permis de produire des indicateurs puissants sur cette population marginalisée et difficile d’accès.
Nous avons distribué des couffins à une centaine de personnes qui sont en situation de précarité et nous allons de nouveau les aider avant le ramadan. Ils seront sécurisés pour les 3 mois qui viennent. Avec d’autres populations clés, il y a un gros problème notamment avec les usagers de drogue à Alger. Nous les avons sensibilisés et dotés de kits d’injection. Malheureusement ils sont souvent dans la précarité et nous ne parvenons pas à tous les toucher. Nous avons sensibilisé les autres associations à Alger et nous sommes dans une dynamique où nous allons pouvoir mieux les orienter et les appuyer. Les travailleuses de sexe se prennent en charge et nous indiquent leurs besoins et avec nos collègues de Coalition Plus nous parvenons à répondre à leurs besoins.
Concernant le dépistage des ISTVIH Sida Nous ne pouvons plus dépister car toutes les structures de santé priorisent actuellement le covid-19. Dans une association, à partir du moment où nous respectons les mesures de distanciation sociale et où les gens ne sont pas à moins d’un mètre avec des masques on ne peut travailler. Les associations, lorsqu’elles vont sur le terrain doivent avoir des masques et l’intervention terrain ne doit pas durer plus de 45 minutes.
Dans le cadre de la riposte à l’épidémie du Covid 19, les masques sont utiles afin de se protéger et protéger les autres. Ils offrent un potentiel important de réduction de la transmission du Covid-19, ce qui donnera du répit au système de santé et évitera la surcharge des services hospitaliers.
Les PVIH ont acquis une grande expertise en matière de prévention, de dépistage, d’information et sensibilisation, de plaidoyer, d’observance et d’éducation thérapeutique. Elles sont en capacité de contribuer de façon efficace à la riposte contre le Covid 19. Ce qui peut le plus peut le moins.
Il y a manifestement une carence importante de masques sur le marché Algérien malgré tous les efforts consentis aussi bien par le gouvernement que par des particuliers. L’APCS Algérie se doit de contribuer à la production de masques grand public. Les personnes vivantes avec le VIH (PVIH) se mobilisent. Nous mettons en place une unité de production comprenant trois femmes PVIH à Oran en premier lieu puis à Mascara début mai et à Alger dès que possible.
Dans un premier temps l’ensemble des masques produits seront offerts aux PVIH et populations clés aussi bien à Oran, Alger, Mascara et Bechar, lieux d’implantation effectifs de l’APCS. Dans un second temps, on envisage un partenariat inter associatif (Aids Algérie, Solidarité Sida, El Hayet et Aniss) pour augmenter la production et en faire profiter l’ensemble des populations clés.
Cette initiative constitue un dispositif d’Activités Génératrices de Revenus (AGR) pour les PVIH qui peut se pérenniser pendant au moins deux, trois années peut être plus et ainsi contribué à élever le niveau de vie de ces femmes dont la majorité sont dans un état de précarité avancée.
L’ensemble des intrants sont mis à la disposition du collectif pour leur permettre de travailler dans de bonnes conditions. Nous faisons appel à l’ensemble des personnes en capacité d’aider ce collectif et les invitant à se rapprocher d’Amel pour toute information complémentaire.
E-mail : apcsalgerie31@gmail.com
Monsieur Tadjeddine, si vous devez passer un message aux membres du Programme Joussour, quel serait ce message ?
Joussour c’est le dialogue, la concertation, la solidarité et la citoyenneté. Des actions qui ont du sens en ce moment d’incertitude et de doute, alors mon message est le suivant : « Soyons utiles collectivement ! »